Le bonheur est dans le vert

par Jacques SOIGNON - Directeur du Services des espaces verts et de l’environnement Ville de Nantes

image1

 

Et si nos parcs et jardins rendaient plus heureux ? Leurs contributions au bien-être individuel et collectif

Les parcs sont des oasis

Le besoin de nature des citoyens est devenu un phénomène planétaire, à une époque où plus d’un terrien sur deux vit en ville, où le réchauffement climatique laisse aux humains un défi inédit, les parcs sont devenus des oasis… A Tokyo, Londres, Paris ou New-York, les parcs sont des refuges de nature cernés par une urbanisation galopante, véritables poumons verts au cœur de mégalopoles surchauffées.

A Nantes, « Ville aux 100 jardins », ce sont autant d’oasis qui ont été créées avec l’objectif continu de mailler totalement le territoire, avec un jardin à moins de 500 m de chaque domicile et un accès à une promenade verte à moins de 300 m. On estime dans cette ville la fréquentation annuelle aux alentours de 18 millions de visites, chiffre en constante augmentation. Le jardin des plantes est le plus fréquenté avec une progression de un à deux millions de visites en 4 ans ! Les motifs sont multiples et il suffit de consulter les milliers d’avis sur les réseaux sociaux sur les sites spécialisés du tourisme pour classer les principaux mots clés exprimés : végétaux et animaux sont les plus fréquemment cités, suivis par le calme et le repos, les aspects climatiques (soleil, ombre, fraîcheur….). A noter l’intérêt grandissant pour les actions artistiques et événementielles.

Individuellement, le visiteur cherche à se dépenser physiquement, à jouer et à s’amuser, à prendre contact physiquement avec la nature, en foulant, par exemple, un sol meuble et vivant ou en caressant et nourrissant les animaux.
L’envie de se nourrir en plein air est beaucoup plus souvent exprimée d’où le succès, par exemple, « des stations gourmandes » et autres lieux libres d’accès pour déjeuner – le sentiment de mieux respirer est aussi un besoin, et il est paradoxal d’écouter le public y puiser là « une bouffée d’oxygène au cœur de la ville » ! Le rafraîchissement et la présence de l’eau sont incontournables; dans l’aménagement des jardins, pataugeoires, miroirs d’eau et cascades ont un bel avenir et accueillent aux beaux jours des milliers de pratiquants.
Ailleurs, dans le monde, de la même façon, se développent à l’extérieur, des lieux de pratiques d’activités physiques, libres ou encadrées, des espaces de lecture, ou des sites d’accueil pour les propriétaires d’animaux. Les touristes recherchent « L’Eden », parc bien dénommé où il est possible de s’évader. Le plus grand parc du monde est d’ailleurs en cours de réalisation en Chine sous cette appellation (Eden Project China).

La ville, refuge de la nature

Alphonse Allais écrivait à la fin du XIXe que « l’on devrait construire les villes à la campagne car l’air y est plus pur ». Aujourd’hui, c’est la ville qui accueille la nature. Le maintien d’un équilibre entre ville et nature est devenu un incroyable défi.
A Nantes, avec l’aide de Gilles Clément et de l’agence CAMPO, on cherche à relier les différents parcs à travers une trame verte et bleue dénommée « étoile verte », un projet ambitieux qui vise à favoriser la circulation des êtres vivants, des habitants bien sûr, mais aussi de la faune et de la flore. L’efficacité de ces connections et de l’action bénéfique des jardins peut être mesurée par les inventaires naturalistes (Propage, 24h de la biodiversité…) L’exemple des « jardins flottants », des caves construites pour chiroptères, ou des aménagements rocailleux pour l’Alyte démontre la capacité que nous avons à recréer des conditions favorables pour la biodiversité. Dès le XIXe siècle, Frederick Law Olmsted avait compris l’intérêt d’intégrer ce type de continuités lors de la création des villes aux U.S.A, avec l’« Emerald Necklace » de Boston. Ces projets reprennent de l’importance dans certaines capitales. Ainsi, à Séoul avec le retour de la rivière « Cheonggyecheon », là où l’autoroute l’avait enfouie dans les années 60, ou avec le « Line Forest Park » et le « Sky Garden » espaces repris à la voiture. New York avec la High Line avait déjà suivi Paris et sa promenade suspendue dans cette même direction.

La ville dans un jardin

Pour Johanna Rolland, nouvelle maire de Nantes depuis 2014, un objectif important est « de passer de la ville aux 100 jardins à la ville dans un jardin » et, les meilleurs paysagistes sont aujourd’hui choisis pour devenir les mandataires d’importants projets de transformation urbaine. Ainsi, la promenade nantaise sera une vaste promenade - jardin de centre ville depuis la gare jusqu’au futur jardin extraordinaire, sur un linéaire de 3 km. Pour ce faire, il faut reconquérir des surfaces bitumées à la voiture, et favoriser le piéton et le vélo. Ainsi, deux équipes s’activent avant 2021 – Phytolab et Jacqueline Osty Paysage. L’arbre prend plus de place et si, à Nantes, on compte une canopée urbaine intra muros significative de 16 %, certaines grandes villes affichent des objectifs spectaculaires, comme Montréal (25%), Vancouver (22%) ou Bristol (20%). En Allemagne, la place des paysagistes a souvent été fondamentale dans la construction des villes. Berlin est une référence, mais aussi Hambourg, autre capitale verte européenne. La part du vert en ville doit grandir en dépit des nouvelles constructions avec la multiplication des murs végétaux et des toitures végétalisées. La demande est telle que les architectes doivent rivaliser d’ingéniosité pour insérer du végétal au cœur même des opérations. Travailler « au vert » est une tendance de fond, faire disparaître les limites « intérieur / extérieur » est une nouveauté.

Le bonheur au pluriel

Le jardinage est en ville bien plus qu’un moyen de subsistance, il est l’occasion d’échanges et de rencontres, à tous les âges, pour toutes les Catégories Socio-Professionnelles Il se décline de multiples façons, avec les cours municipaux de botanique et de façon plus ludique avec, par exemple, les récentes « Olympiades du potager ». On peut également favoriser les circuits courts et les productions bio. Le nouveau potager créé hors sol sur l’île de Nantes fournit en légumes et salades les 100 000 convives estivaux de la Cantine du Voyage à Nantes, et qui profitent d’une exposition ensoleillée face à la Loire et peuvent pratiquer différents sports : pétanque, skate ou baby-foot tout en visitant les récoltes en cours !Le jardinage collectif est favorisé par les opérations de distribution de graines de fleurs. Sous l’appellation « ma rue en fleurs » depuis 2014, 10 000 sachets sont retirés dans les mairies annexes.
Plus récemment, à l’instar des initiatives lancées à Bordeaux, Rennes, Lyon, San Francisco ou Montréal, nous proposons aux ha-bitants de participer à « ma rue dans un jardin » avec une soixantaine de projets retenus. Le jardin est un lieu festif privilégié depuis des siècles. Musiques et jardins peuvent attirer un public nombreux, à la fois spectateur et acteur.
Plus de vert en ville, c’est plus de rencontres. Les nouvelles pelouses créées en centre ville ne désemplissent pas chaque soirée estivale. Les pratiques sportives peuvent être collectives, comme à Feydball, où il est possible en plein centre ville de jouer au football, devant un miroir géant créant l’anastomose.
Autour du jardin et de l’histoire racontée, le potentiel de pratiques est incroyable. Avec Claude Ponti, pendant 5 ans au jardin des plantes autour de l’histoire d’un poussin, une véritable complicité s’est nouée avec un public toujours plus nombreux. En 2016, avec un temple consacré au poussin et une procession, ce sont des milliers de participants qui ont œuvré à la réalisation des décors, à l’écriture de lettres. Les jardins sont des lieux de conquête;

pour beaucoup le premier baiser a été volé sur un banc public, ailleurs des lieux sont même imaginés pour favoriser les rencontres amoureuses et les calins (Kiss me, Hug me!). Par le passé, la vue était privilégiée, autour de jardins décors, aujourd’hui, on doit rechercher l’éveil de tous les sens…. La part du rêve est essentielle, et est souvent expri mée dans les commentaires du web. Avec « Rêver l’Erdre » en 2017, nous avons aidé à redécouvrir une magnifique rivière nantaise avec l’aide d’une artiste, Marie-Hélène Richard. L’événementiel fait partie intégrante de la stratégie de développement et de reconnaissance du SEVE depuis de nombreuses années. Quatre personnes en interne travaillent à plein temps sur le sujet, ce qui permet de développer chaque année une année à thème, ouvrir de nouveaux partenariats, de nouvelles perspectives. Avec les Machines de l’île, après l’éléphant, l’araignée et le manège des mondes marins, nous travaillons pour 2022 à l’accomplissement d’un jardin suspendu extraordinaire qui accueillera le futur arbre aux hérons. Au Havre, le projet « Golden Box » n’a duré qu’un week-end et a déclenché le même plaisir, les mêmes sourires. Au-delà du vert, le langage des fleurs a un avenir.
Au moment où l’on parle de réenchanter la ville, cette part de magie nous est volontiers accordée par les visiteurs, qui doivent nous reconnaître, bien au-delà de simples « techniciens de surfaces vertes » mais plutôt comme de véritables entreprises de « spectacle vivant » qui interpellent dès le premier pétunia planté ! Il nous faut donc intégrer de nouveaux métiers (scénographes, plasticiens, infographistes…) et collaborer avec tous les acteurs culturels afin de participer ensemble au BMB, (Bonheur Municipal Brut), un concept, qui, au-delà des biens matériels cherche à mesurer la qualité de vie de ses concitoyens. Un domaine où les « magiciens du vert » auront demain beaucoup à apporter...

retourner au sommaire ou aller plus loin...

Nous utilisons des cookies pour améliorer votre expérience de navigation.
En continuant votre visite sans modifier vos paramètres, vous acceptez l'utilisation de ces cookies.