par Daniel BOULENS, ancien directeur des Espaces verts de la Ville de Lyon
Notre pays compte aujourd’hui pratiquement autant d’épidémiologistes, de virologues, de scientifiques et d’experts en infectiologie que de français… C’est ainsi ! Ce temps nouveau, ce temps qui nous filait dans les doigts, finalement, il est là et c’est à chacun de pouvoir en tirer le meilleur parti. En ce qui me concerne, et grâce aux technologies dont nous disposons, je n’ai jamais été autant en contact avec ma famille, mes amis et mes collègues experts en environnement dans le monde entier. C’est une nouvelle occasion d’échanges et de partages, (même si ces technologies ont un impact non négligeable sur l’environnement).
Lectures, partages et réflexions : une lueur d’espoir émerge
Peut-être pas encore pour l’atténuation de la courbe de l’épidémie, mais cela viendra certainement dans les prochains jours, mais pour l’après crise sanitaire et économique qui lui est liée. Oui, des raisons d’espérer un changement, une prise de conscience pour un monde différent, une économie plus respectueuse de l’environnement, pointent progressivement. Économistes, sociologues, philosophes, scientifiques ou simples individus s’accordent à dire que cette crise sanitaire est une opportunité pour revoir nos modes de consommations, nos modes de vie,
nos relations avec les autres, de redonner du sens à nos existences.C’est parfois au fond des officines financières qu’il faut aller chercher les tendances et évolutions. Aujourd’hui, j’ai pu lire un très intéressant dossier du Fonds d’Investissement Luxembourgeois Lombard Odier, ainsi qu’une lettre aux actionnaires du plus grand gérant mondial d’actifs financiers, la multinationale Black Rock. Même si nous ne sommes pas des habitués de ce type de lectures, celles-ci valent vraiment le détour. Comment ces gestionnaires voient-ils l’avenir ? Que proposent-ils à leurs clients investisseurs ? Quelles orientations prennent-ils ?
Quelles sont les tendances ?
Le groupe Lombard Odier indique dans son rapport que les pays touchés par la pandémie de Covid 19 s’emploient à trouver un équilibre entre la protection de la santé et la prévention de graves perturbations économiques et sociales. Si cette pandémie est une tragédie humaine, elle interfère directement avec des marchés financiers sous fortes turbulences, en proie également à une chute des cours du pétrole. Je ne vais pas vous reprendre le long article, mais synthétiquement vous dire que leur analyse indique un impact positif pour les stratégies de transition climatique. Lombard Odier propose et détaille les raisons vers la transition à une économie zéro énergie. Le cabinet indique que les politiques ont atteint un stade critique qui permet d’aller vers des transitions énergétiques et ce, malgré la baisse du prix du pétrole. Les développements et l’évolution de la demande des énergies propres est en route, même en Chine, et les recommandations de l’OMS pour faire face à la mortalité liée à la pollution sont un fait marquants.
Par ailleurs, les technologies vertes deviennent de plus en plus abordables et compétitives par rapport aux énergies fossiles. Un autre facteur est la pression que les banques centrales exercent pour aller vers cette transition climatique, pression soutenue par la demande du changement de modèle de consommation des consommateurs. Enfin, les fournisseurs de pétrole considèrent que le pic de la demande est passé et qu’ils doivent investir dans d’autres domaines. Larry Fink, le patron de Blackrock , dit que « la pandémie provoque une réévaluation de beaucoup de principes de l’économie mondiale, comme l’engouement pour les chaines d’approvisionnement juste à temps et notre dépendance aux déplacements aériens internationaux »,… « Quand nous sortirons de cette crise le monde sera différent ». Dans sa lettre aux patrons d’entreprise, envoyée en janvier, il promettait de liquider ses investissements non durables. La crise en cours sera une opportunité d’accélérer la transition vers un monde plus durable. Car, la pandémie en cours «souligne les fragilités d’un monde globalisé et la valeur des investissements durables».
Une approche durable de l'économie
C’est un premier pas, mais ne nous trompons pas. Ces financiers planétaires réfléchissent avant tout à faire fructifier leurs actifs de la manière la plus prometteuse et ils anticipent le « durable ». Mais ce durable reste pour eux avant tout une affaire de business où l’homme et la nature sont marchandisables… Ce n’est pas franchement ce que la charte d’Aalborg a défini comme Développement Durable en 1994. Les énergies propres vues par les investisseurs internationaux, c’est par exemple le développement des batteries de voiture, dont on oublie de dire que la fabrication dépend de l’extraction de terres rares (néodyme par exemple) qui sont de vraies catastrophes environnementales pour leur exploitation dans les pays concernés… L’interview récente de l’économiste français Gaël Giraud ouvre d’autres perspectives. Il dit en substance : « je crois que ce dont on fait l’expérience aujourd’hui, c’est que nous avons construit une globalisation marchande qui nous rend extrêmement vulnérables ».
En 2008, les banques centrales ont injecté des milliards d’euros et de dollars pour soutenir les systèmes bancaires. Gaël Giraud dit : « on peut injecter des millions de milliards dans le secteur bancaire aujourd’hui, cela ne fera pas grand-chose dans l’immédiat puisque ça ne sauve pas des vies. Les banques ne peuvent pas vous immuniser contre le virus et puis ça ne réalimente pas les chaines d’approvisionnement qui sont interrompues. Donc, il faut d’abord s’occuper de l’économie réelle … c’est la raison pour laquelle c’est auprès des entreprises et des ménages qu’il faut réinjecter de l’argent ». « A la sortie du confinement, il faudra relocaliser la totalité de la production, relancer une industrialisation verte en France avec les produits que nous produisons pour nous ». Oui, ce sont ces propos qui sont réellement pour moi une lueur d’espoir !
Repenser local, serait-ce l’issue ?
J’espère que des économistes réputés comme M. Giraud pourront se faire entendre auprès de nos dirigeants à tous les niveaux et que nos politiques ne céderont pas à la pression et à la puissance des lobbies qui tiennent le bras armé des décisions politiques, agriculture, agrochimie, pharmacie, BTP, constructeurs automobiles… Comment pourrons-nous encore supporter que des produits alimentaires, même bios par exemple, fassent le tour de la terre avant d’arriver dans nos assiettes ?
Pendant ce temps de confinement, chacun peut percevoir que l’essentiel est lié à son alimentation, à sa santé, à la protection sociale d’un état providence, aux communications et aux relations humaines. Tout cela suppose une économie, celle que Gaël Giraud, appelle « réelle », que chaque individu puisse produire et dégager un revenu grâce à un tissu d’entreprises responsables et au service de l’homme et de ses besoins.
Beaucoup de choses paraîtront secondaires dans l’après-crise… Moins de bling-bling et d’apparences, plus de vrai, d’humain dans un respect de l’environnement et de la nature !