Changements climatiques et paysage : quels enjeux pour nos métiers ?

par Frédéric SÉGUR - Chef de projet Ingénierie & Prospectives, Métropole de Lyon

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La cop 21, conférence mondiale sur le climat a pour ambition de franchir une étape décisive dans l’engagement des états pour garantir une maîtrise des changements climatiques actuellement observés et éviter un effet d’emballement qui serait catastrophique pour l’humanité. A l’échelle locale, l’interrogation et l’action sont de mise sur ce front et portent sur deux questionnements complémentaires qui concernent directement nos métiers : comment d’une part adapter les palettes végétales à l’impact de ces changements ? Et d’autre part, comment les arbres, et plus globalement la végétation, peuvent être des solutions importantes pour l’adaptation de nos villes aux incidences des modifications du climat attendues pour les prochaines décennies ?

Un constat alarmant

Le réchauffement de la planète est aujourd’hui devenu un sujet majeur des réflexions politiques, mais aussi un enjeu évident de communication en direction du grand public. Que l’on soit un État, une collectivité, une entreprise ou un simple citoyen, nous sommes tous concernés, quels que soient notre échelle, notre taille ou nos moyens. Les études menées depuis une vingtaine d’années sur cette question ont permis d’arriver à un véritable consensus de la communauté scientifique : aujourd’hui ni l’origine anthropique du phénomène ni la réalité du réchauffement ne sont désormais remises en cause. Seule l’amplitude de ce phénomène à moyen ou long terme, ou encore l’incidence des mesures correctives que l’humanité pourra mettre en œuvre font encore l’objet de débats d’experts. Une chose est donc acquise quel que soit le scénario retenu : notre climat va inexorablement se réchauffer au cours des prochaines décennies conduisant à une augmentation des températures moyennes comprise entre +2°C pour les plus optimistes et +5°C pour les plus catastrophistes. Pour se fixer les idées, il est bon de rappeler que le réchauffement de la température de la terre depuis les dernières glaciations du quaternaire est de l’ordre de 4 à 5°C,

mais aussi que l’élévation d’un degré de la température correspond concrètement à un déplacement des conditions climatiques, et donc des éco-systèmes, de l’ordre de 150 à 200 Km vers le nord…  Ces quelques rappels permettent aisément de comprendre pourquoi une véritable mobilisation est nécessaire et même urgente autour de cette problématique. D’un point de vue politique à l’échelle des collectivités locales, cette mobilisation s’appuie sur un programme d’actions généralement baptisé « le plan climat ». Deux types de mesures sont présentés dans un plan climat : des mesures d’atténuation, qui consistent à limiter la production de gaz à effet de serre, et des mesures d’adaptation qui cherchent à réduire la vulnérabilité des territoires et des populations aux effets du réchauffement climatique. Les solutions généralement proposées se concentrent sur les questions de déplacement et d’habitat, la thématique « paysage » ayant longtemps été négligée. Pourtant, la nature et son traitement en ville par le paysagiste sont en lien étroit avec la question climatique, tant en ce qui concerne l’impact du réchauffement sur les végétaux, que l’effet de la végétation sur le microclimat urbain.

Impact du réchauffement sur les végétaux

Si on souhaite planter un arbre pour au moins un siècle, alors la perspective des changements climatiques auxquels cet arbre sera confronté au cours de son développement doit nécessairement être envisagée. Or, on constate aujourd’hui que la connaissance de l’autécologie des essences d’ornement reste encore très parcellaire, et qu’il est donc dans ces conditions difficile de faire évoluer notre capacité de choisir les essences pour anticiper les effets du réchauffement. Plusieurs séries d’actions, qui concernent l’ensemble des acteurs de la filière « paysage »  seraient donc à entreprendre, notamment :  la mise en place de protocoles d’observation du comportement des espèces (croissance, phénologie, pathologie…). Les pépiniéristes, jardins botaniques et arboretum, mais aussi les collectivités locales s’engagent de plus en plus dans une telle démarche, notamment en lien avec Plante & Cité. L’harmonisation des protocoles d’études doit être envisagée dès le départ afin d’autoriser la mise en commun et la comparaison des résultats. Le Grand Lyon par exemple a initié le suivi du comportement des quelques 280 espèces et variétés d’arbres qui constituent son patrimoine arboré. L’intérêt particulier que revêt le suivi du comportement des essences en milieu urbain, est qu’il nous renseigne de manière anticipée sur les effets du réchauffement sur l’évolution à prévoir de la palette végétale. En effet, le microclimat du cœur urbain étant déjà en moyenne de 3 à 6° plus élevé que celui de la campagne environnante, les difficultés rencontrées dès aujourd’hui par certains végétaux en ville peuvent nous renseigner sur les problématiques à venir dans quelques décennies dans les parcs et espaces naturels périurbains.

La recherche d’une meilleure maîtrise des provenances et l’amélioration de la traçabilité dans la chaîne de production des arbres d’ornement. En effet, un des facteurs pouvant limiter l’impact des changements climatiques sur le comportement des végétaux est la recherche de la meilleure adaptation aux conditions du site de plantation (sol, ressource en eau, climat…). Or si les connaissances sur l’autécologie des essences d’or-nement sont rares et parfois contradictoires, c’est qu’il existe généralement dans la nature de nombreux « écotypes » d’une même espèce. Un « écotype » correspond à une sous-population d’une essence qui est adapté à des caractéristiques écologiques particulières, parfois sensiblement différentes de celles d’un autre «écotype » de la même espèce. C’est pourquoi la connaissance de la provenance précise des plants d’une espèce est indispensable pour l’élaboration d’arbres qui pourront s’adapter au mieux à leur site d’implantation. Cette maîtrise de la provenance nécessite une démarche concertée et coordonnée de l’ensemble de la filière de production, mais aussi la mise au point d’une procédure de traçabilité de ces végétaux.

Effet de la végétation sur le microclimat urbain

Si le réchauffement du climat aura un impact sur l'évolution de nos palettes végétales, nécessitant des mesures d’adaptation et d’anticipation, il est important de considérer que la végétation urbaine peut en retour constituer un instrument d’atténuation des effets du réchauffement. En effet un arbre ou un boisement de manière passive par l’ombrage, ou active par l’évapotranspiration joue le rôle d’un climatiseur. Certaines études menées récemment en Amérique du nord ont tenté de quantifier cet effet climatiseur et ont montré qu’il existait plusieurs degrés d’écart entre un quartier fortement végétalisé et un autre très minéralisé. Ces constats conduisent à considérer la végétation en cœur de ville comme une réponse à ne pas négliger pour l’atténuation des pics de chaleur. En plus de ce bénéfice direct pour le confort thermique des habitants, la végétation permettrait de manière indirecte de limiter les besoins en énergie pour la climatisation des bâtiments, induisant une réduction d’émission des gaz à effet de serre nécessaires à la production de cette énergie. Il faut bien évidemment ajouter à ce bilan la fixation de carbone dans la biomasse des arbres en croissance.

La canicule de 2003 a montré l’importance de l’impact sanitaire potentiel d’un épisode de canicule avec plus de 15 000 morts en France au cours de cet été, mortalité souvent concentrée au cœur des grandes métropoles du fait de l’effet d’îlot de chaleur urbain. Or on prévoit que d’ici 2050, des canicules de ce niveau d’intensité devraient en moyenne survenir une année sur deux ! Un effet d’abaissement par la végétation d’un ou deux degrés des températures estivales pourrait alors permettre de sauver un nombre important de vies et améliorer la vie quotidienne de nombreux citadins.

Ce rôle actif de l’arbre sur la température peut donc faire de l’intégration de la nature en ville une nouvelle piste de solutions pour enrichir le volet adaptation des plans climat locaux. Le couplage de cet objectif avec une logique de gestion alternative de l’eau est enfin une perspective très prometteuse qui s’intègre aujourd’hui dans les intentions de nombreux projets urbains. L’eau permet d’augmenter l’évapotranspiration des arbres et donc de ce fait leur efficacité en matière de rafraîchissement. Le stockage d’eau en vue de l’irrigation de la végétation durant les périodes de canicule fait d’ailleurs dès à présent l’objet d'expérimentations sur les projets du Grand Lyon.

Cet enjeu doit permettre de faire évoluer la manière de concevoir l’urbanisme, et d’envisager un meilleur équilibre ville/nature en redonnant au végétal un rôle actif indispensable à la résilience d’une ville. Si ce sont des considérations hygiénistes et esthétiques qui sont à l’origine de l’introduction de l’arbre et du jardin dans les projets urbains du XIXe siècle, puis la recherche d’une meilleure qualité de vie depuis la fin du XXe siècle, ce sont peut-être les enjeux d redonnant au végétal un rôle actif indispensable à la résilience d’une ville. Si ce sont des considérations hygiénistes et esthétiques qui sont à l’origine de l’introduction de l’arbre et du jardin dans les projets urbains du XIXe siècle, puis la recherche d’une meilleure qualité de vie depuis la fin du XXe siècle, ce sont peut-être les enjeux du confort thermique et de la santé qui seront à l’origine d’un nouvel essor de l’arbre et du paysage dans la conception de la ville du XXIe siècle.

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